RP - We'll keep the fires alight

La lune était déjà haute dans le ciel quand Emrys sortit de la Grande Bibliothèque. Le regard cerné accentuait la clarté de ses prunelles et la pâleur de sa peau : ces derniers jours n’avaient pas été simples, deux crises ayant entravé son esprit en le laissant épuisé. Il n’y avait pas pire sensation que de sentir son corps ne plus répondre aux ordres de son cerveau, le lien rompu, alors que le coeur hurlait de reprendre le contrôle. Pourquoi plus de crises en ce moment ? Il n’en savait rien. Il n’avait rien changé à ses habitudes ou à son régime alimentaire. À moins que… Les émotions pouvaient-elles influer sur son état psychique au point de nourrir la Tragédie ? Peut-être. À moins que ce ne soit que l’évolution normale d’un mal dont personne n’osait parler, par peur d’une contagion à sa seule évocation. Mais si ses émotions influaient l’avancée de la Tragédie, il devait endiguer le problème. Le Gourra ne pouvait pas se laisser happer aussi rapidement, pas alors qu’il entamait avec le Paon un important travail pour le Coventus et la Communauté.

Une chemise cartonnée sous le bras, il frappa à la porte de Vivian minuit passé, l’air aussi détendu qu’un Caelum en visite à la Grande Bibliothèque. Si canaliser sa Tragédie requérait de converser avec son enfant, cela ne devrait pas être compliqué. Sauf quand on s’appelait Emrys Lockhart et qu’on avait un coeur brisé recollé à la va-vite pour éviter de sombrer davantage. Si le Gourra avait pu retenir les larmes au retour de Vivian, ça n’avait pas été le cas lors de sa fuite. L’abandon imprimé dans ses synapses, la sensation amère d’avoir failli à son rôle de père. Mais pas ce soir. Pas alors que chez sa fille, il avait cru reconnaitre des symptômes qu'il acceptait chez lui mais refusait de laisser exister en elle.

Porte ouverte, brunette à l’air innocent qui l’accueillit avec un sourire réchauffant son coeur. Si Vivian savait ce qu’il dissimulait, derrière les battements réguliers, peut-être s’inquiéterait-elle aussi. Mais non, ce n’était pas à l’ordre du jour, d’évoquer sa propre Tragédie et de rappeler à sa fille, qu'il n’était pas éternel.
Un sourire doux en guise de bonsoir, un “oui” susurré à sa question sur la Bibliothèque, Emrys s’engouffra dans l’appartement avant de lui tendre la chemise cartonnée.

- Le dernier livre que j’ai ramené présentait des illustrations qui m’ont semblé être à ton goût. Je t’ai fait quelques photocopies.

Langage de l’amour dans lequel il excellait, des cadeaux par dizaines offerts au cours de leur vie de famille. Que ce soit en rentrant d’un long voyage ou même, après une journée enfermée à scruter les lignes d’un vieil ouvrage, Emrys avait toujours la petite attention qui aidait à faire oublier les absences régulières. Si le contact et les effusions sentimentales n’étaient pas son fort, au moins avait-il trouvé une façon bien à lui de montrer à quel point il tenait aux deux femmes de sa vie.

La tête penchée sur le côté, les paupières plissées, le Gourra prit un air légèrement fautif, un peu gêné de venir si tard pour parler de ça. De ce qui lui donnait des sueurs froides le soir et le réveillait à des horaires incongrus en pleine nuit.

- Et je te mentirais si je ne t’avouais pas que je viens aussi pour discuter de quelque chose qui me tracasse un peu.

La crainte de l’angoisser autant qu’il l’était, la peur de poser des mots alors qu’elle n’avait peut-être encore rien vu, l’inquiétude de s’être trompé et de ne pas aussi bien la connaitre qu’il le pensait. Quelle que soit la finalité de leur conversation, Emrys savait qu’il n’en sortirait pas indemne.

- Tu as toujours de la valériane ?

Car il lui en faudrait bien une tasse ou deux pour dompter l’anxiété qui tapissait son myocarde comme le liseron autour d’une plante en bonne santé.